La France était particulièrement en retard par rapport au Québec dans l’instauration d’un système de recours collectif en droit civil. Pour mémoire, le Québec s’est doté de ce moyen de regroupement de plusieurs demandeurs dans une même instance judiciaire en 1978.
La réflexion française a pourtant débuté il y a plusieurs années mais ce n’est qu’en mai 2013 qu’un projet de loi a été présenté par le gouvernement. Après un processus législatif ordinaire, l’Assemblée nationale a fini par adopter un texte original et novateur. Comme, la Constitution le permet, la constitutionnalité des lois peut être contrôlée avant leur entrée en vigueur sur demande des députés et des sénateurs (60 de chaque).
C’est dans ce contexte que le Conseil de constitutionnel a été saisi le 17 février 2014 de la loi relative à la consommation. Ainsi, il s’agit d’une loi qui dépasse la création d’une action de groupe et touche plus largement le droit de la consommation. Le Conseil était saisi des articles 1er et 2 de la loi, soit les dispositions sur l’action de groupe.
Dans sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, le Conseil prend soin de préciser les particularités de l’action de groupe française. Elle se divise en trois étapes (Considérant 4) :
1°) Un procès classique en responsabilité civile opposant un professionnel et une association de consommateurs. En effet, seule une association peut agir en représentation des consommateurs ;
2°) Une phase d’information des consommateurs pour les informer de la responsabilité du professionnel en cause. Il s’agit d’inviter les consommateurs à se déclarer membre du groupe. En effet, la France a choisi un modèle de participation explicite au recours (opt-in) ;
3°) La mise en œuvre du jugement pour liquider la créance d’indemnisation.
L’action de groupe comporte deux particularités. D’abord, il existe une action de groupe « simplifiée » lorsque l’on connaît les consommateurs victimes et que le montant du préjudice est identique. Dès lors, la procédure est accélérée. Ensuite, l’action de groupe est réservée, on l’aura compris, aux seuls consommateurs. Or dans ce cadre, certaines dispositions sont spécifiques au droit de la concurrence (art. L. 423-17 à L. 423-19 du code de la consommation).
Les griefs des députés et des sénateurs contre la loi sont les suivants :
– L’action de groupe n’offre pas au consommateur la possibilité de donner réellement son assentiment à l’action, ce qui porte atteinte au droit à un recours effectif et à sa liberté personnelle (Considérant 12) ;
– Dans la mesure où durant la 1ère phase de l’action, le défendeur professionnel n’a à faire qu’à l’association de consommateurs, il ne peut faire valoir de moyens de défense spécifiques à des situations individuelles, ce qui va à l’encontre des droits de la défense (Considérant 13) ;
– Enfin, le professionnel ne dispose pas d’une voie de recours dans le cadre du jugement statuant sur sa responsabilité lors de la procédure simplifiée (Considérant 14).
La réponse du Conseil constitutionnel porte ici sur le principe même de l’action de groupe. La question que le monde juridique français se posait depuis des années, et qui allait enfin avoir une réponse, était de savoir si le droit civil était capable d’accueillir une telle action. Heureusement, le choix d’une procédure à la française, c’est-à-dire à participation explicite, et non implicite comme en Amérique du Nord, a évité l’objection selon laquelle nul ne plaide par Procureur. Dès lors, le Conseil prend position sur un fondement remarquable, le droit à un recours juridictionnel effectif issu de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il décide :
– Dans la première étape, les consommateurs ne font pas partie de l’action. Or, pour répondre à la critique de la violation du droit à un recours effectif pour les consommateurs, « manque en fait le grief tiré de ce que les dispositions contestées auraient pour effet d’attraire des consommateurs à une procédure sans qu’ils aient été en mesure d’y consentir en pleine connaissance de cause ». Le principe selon lequel nul ne plaide par Procureur aurait pu être violé. Mais, la deuxième phase prévoyant la publicité pour informer les consommateurs du procès et l’autorité de la chose jugée n’etant acquise qu’à la fin de la procédure et à la condition que les consommateurs aient obtenu une réparation, le droit à un recours effectif est préservé (Considérant 16) ;
– Le professionnel peut faire valoir ses moyens de défense non seulement face à l’association, alors seul demandeur lors de la déclaration de responsabilité (1ère phase) et lors de la liquidation de la créance d’indemnisation. En effet, longtemps les détracteurs de l’action de groupe soutenaient qu’elle constituait une violation du droit à un procès équitable dans la mesure où le défendeur n’était pas mis en face de tous ses accusateurs (Considérant 17). Pour notre part, nous avons toujours pensé qu’il s’agissait d’une conception erronée de l’action de groupe. Seul le représentant du groupe est « l’accusateur ». Or c’est à lui seul qu’il faut répondre. L’action de groupe ne viole donc pas les droits de la défense dans la première phase. Quant à la phase finale, les demandeurs sont connus, la défense est par conséquent possible. Enfin,dans ces dispositions, rien ne nie au défendeur les voies de recours offertes par la procédure civile (Considérant 18) ;
En conclusion, l’action de groupe est conforme à la Constitution.
Dans un mouvement européen favorable à l’action privée en droit de la concurrence, le législateur français a, à juste titre, ouvert l’action de groupe aux victimes de pratiques anticoncurrentielles. Pour favoriser cette action, certaines dispositions particulières ont été créées.
Les décisions des autorités de concurrence françaises et européennes (nationales ou la Commission européenne) constatant une entente ou un abus de position dominante emportent la preuve irréfragable de la faute (art. L. 423-17 c.conso). Les parlementaires reprochent à cette disposition de permettre une action de groupe avant que la décision ne soit définitive ce qui serait source de mesures d’instruction dans le procès civil alors que la décision dans le contentieux public constate déjà l’infraction. La recherche de la faute par le juge judiciaire est alors inutile et attentatoire aux droits des professionnels.
En effet, la responsabilité civile ne peut être prononcée dans l’action de groupe que lorsqu’une décision, qui n’est plus susceptible de recours, issue du public enforcement la constate, peu importe qu’il y ait par la suite des recours contre, par exemple, le montant de l’amende. En revanche, l’action de groupe peut être engagée avant que la décision ne soit plus susceptible de recours. Le législateur distingue entre l’introduction de l’instance et le jugement sur la responsabilité civile. Si l’action de groupe peut être introduite avant une décision définitive sur la faute dans le cadre du public enforcement, il faudra cependant que le juge attende que cette décision ne soit plus susceptible de recours pour constater la faute civile. Entre temps, l’action des victimes ne se prescrit pas. Mais, ce que craignent les députés requérants, c’est que le juge engage des mesures d’instruction avant la décision issue du public enforcement.
Le Conseil oppose alors deux arguments : 1/ il ne s’agit pas d’une question de constitutionnalité ; 2/ le juge doit surseoir à statuer le temps que la décision devienne définitive. Cela nous amène au second grief.
L’article L. 423-19 prévoit que les mesures de publicité peuvent être ordonnées (2ème phase) de manière provisoire sans que la faute ne soit constatée par la décision issue du public enforcement national ou européen. Concrètement, le juge passe à la phase 2 de la procédure, sans que la phase 1 ne soit consommée. Les sénateurs jugent cette disposition attentatoire à la présomption d’innocence.
Le Conseil répond que cette disposition vise simplement à permettre aux consommateurs victimes de ce déclarer dans le délai imparti. En effet, le groupe en France n’est pas mouvant comme au Québec. Il connaît une consolidation avant la liquidation. De plus, cette publicité n’est pas une punition. Ainsi, l’argument de la présomption d’innocence tombe.
En conclusion, ces dispositions sont conformes à la Constitution.
Il s’agit d’un soulagement pour les partisans de l’action de groupe tant l’obstacle constitutionnel était à craindre. Après des années d’hésitations, la France se lance enfin dans l’aventure du recours collectif, on ne peut que s’en féliciter !
Benjamin Lehaire
V. la décision : http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2014/2014-690-dc/decision-n-2014-690-dc-du-13-mars-2014.140273.html
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