Projet de 4e directive antiblanchiment : une nécessité ?

*Dominique Mannella

Depuis la crise financière, l’Union européenne a déjà renforcé ces mesures législatives, et cela a été l’objet de la 3e directive antiblanchiment adoptée le 26 octobre 2005,  afin de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Cependant, les récentes enquêtes des Banques françaises Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole ainsi que la poursuite judiciaire intentée par le gouvernement américain contre la Banque HSBC ont amené la Commission européenne à se repositionner en ce qui concerne la proposition de la 4e directive présentée le 5 février 2013. Selon une étude récente des Nations Unies, le volume de fonds disponibles chaque année pour lutter contre le blanchiment de capitaux se situe autour de 1,6 billion de dollars, soit 2,7 % du PIB mondial[1]. Selon la même étude, moins de 1 % des fonds blanchis sont interceptés par les forces de l’ordre et les saisies effectives représentent moins de 0,2 % du total.  Quelle a été la réaction de l’UE pour lutter contre le blanchiment de capitaux ? À la suite des recommandations du GAFI en février 2012, la Commission européenne a proposé d’adopter la 4e directive antiblanchiment au Parlement européen et au Conseil visant la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Elle a aussi formulé une proposition de règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds.

Quels sont les risques encourus par les États membres si leurs systèmes de prévention du blanchiment de capitaux sont insuffisants?

Selon le document de travail de la Commission européenne,  les risques potentielles d’une défaillance du système de prévention sont les suivantes[2] :

  • Un risque pour la société du fait du recyclage des profits liés à des activités criminelles et terroristes pour le financement d’autres activités criminelles et terroristes;
  • Des conséquences économiques négatives liées aux perturbations des flux internationaux de capitaux, à la contraction des investissements et à une croissance économique plus lente;
  • Une instabilité des marchés financiers, un problème d’image et de perte de confiance et des risques prudentiels.

 

Face à une telle situation négative, la Commission européenne a proposé de mettre en place un système de prévention du blanchiment d’argent auprès des États membres. En quoi la 4e directive se distingue-t-elle vraiment de la 3e directive? Certains auteurs français soulignent[3], d’une part, que l’une des lacunes de la 3e directive était la latitude importante accordée aux États membres dans le processus de conceptualisation de leurs approches législatives antiblanchiment. Celle-ci a eu pour effet d’amplifier la diversité des mesures nationales inadaptées dans un contexte européen et international. D’autre part, les obligations de vigilance et de connaissance de la clientèle à l’échelon des établissements financiers contenus dans la 3e directive imposaient une exemption automatique de toute obligation de vigilance pour certaines catégories de clients ou de transactions. Mais était-ce vraiment suffisant ou adéquat comme cadre juridique ayant comme objectif la lutte efficace contre le blanchiment des capitaux? La réponse à cette question pourrait se retrouver dans la 4e directive. . .

Quel est le contenu de la 4e directive antiblanchiment?

La 4e directive proposée a pour objectif d’élargir le champ d’application de la 3e directive antiblanchiment d’imposer une obligation de conserver et de mettre à disposition des autorités de surveillance les informations sur les bénéficiaires effectifs et de renforcer les mesures pénales répressives. La 4e directive abonde dans le même sens que la 3e directive, modifiant la façon qu’ont les établissements financiers d’appréhender la prévention et la détection du blanchiment d’argent. En ce sens qu’elle adopte une nouvelle approche fondée sur les risques et prend des mesures de vigilance appropriées, justifiées et prouvées en se basant strictement sur l’évaluation du risque[4]. Une des nouveautés majeures de cette 4e directive porte sur les personnes politiquement exposées (ci-après « PPE ») et la distinction réalisée entre PPE nationales et PPE étrangères[5]. Qui plus est, la directive précise que des sanctions administratives plus sévères seront infligées aux membres des organes de la direction. En résumé, tout semble indiquer que ce projet de 4ième directive antiblanchiment de la Commission européenne sera bientôt adopté par le Parlement européen !

*Doctorant en droit, Faculté de droit, Université Laval


[1] Ce document de travail des services de la commission résumé de l’analyse d’impact accompagnant le document: Commission européenne, «Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les informations accompagnant les virements de fonds»,  COM(2013) 45 final, 5 février 2013, peut être consulté au lien suivant à la page 1  : http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1398280387178&uri=CELEX:52013SC0022. Pour la suite de nos propos, nous le dénommerons « document de travail de la Commission européenne ».

[2] Ibid., à la page 2.

[3] Valérie Hauser et Laurent Renaudot, « Projet de 4e directive de lutte contre le blanchiment : évolution ou révolution ? », Revue-Banque, 28 mai 2013, http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/projet-4e-directive-lutte-contre-blanchiment-evolu.

[4] Le Considérant (14) du Rapport  sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (COM(2013)0045 – C7-0032/2013 – 2013/0025(COD)) (ci-après le « Rapport ») peut être consulté au lien suivant:  http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2014-0150+0+DOC+XML+V0//FR; voir aussi Xiaojie Chen « La quatrième directive anti-blanchiment renforce l’Approche fondée sur les risques », Entreprises & Marchés, 4 décembre 2013, http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/finance-marches/banques-assurances/221185917/quatrieme-directive-anti-blanchimen.

[5] Ibid., concernant les PPE, voir le Considérant (3), l’article 19 bis et l’article 20 du Rapport.

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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