30
MAI
2014

Université d’été 2014 : Un beau colloque sur le blanchiment d’argent ! : (billet de notre « auteur invité » M. Jean-Christophe Bernier)

Le colloque sur la supervision et le contrôle en matière de blanchiment d’argent était présidé par l’Honorable Pierre Dalphond de la Cour d’appel du Québec, qui a ouvert la journée par une réflexion sur l’importance d’établir des systèmes efficaces d’analyse et de reddition de comptes au sein des acteurs du milieu financier afin de non seulement prévenir et de faciliter la sanction d’une transgression du droit dans le domaine du blanchiment d’argent. L’honorable Pierre Dalphond a souligné la nécessité de soutenir les efforts étatiques pour prendre fournir une réponse adéquate à ce fléau qui sévit dans la plupart des marchés financiers. En effet, le blanchiment ne cesse d’évoluer et de se complexifier, notamment en raison du développement de nouvelles technologies facilitant les transactions financières. Le président de la matinée a conclu qu’il est indispensable d’assurer le juste équilibre entre une lutte efficace aux sources du blanchiment d’argent et le respect des droits fondamentaux.

Abordant le droit américain, le colloque s’est poursuivi avec la présentation de M. Thomas A. Sporkin, avocat-associé dans le cabinet Buckley Sandler à Washington (D.C.). M. Sporkin avait une expérience des plus intéressantes à partager avec les étudiants. En effet, M. Sporkin a œuvré pendant une vingtaine d’années au sein de la SEC (Securities & Exchange Commission), notamment à l’Office of Market Intelligence (OMI) dont il fût le directeur. L’OMI s’assure d’une analyse poussée des informations reçues par les différentes divisions de la SEC. Après un bref historique de la SEC (institution qui a toujours été impliquée dans la lutte contre le blanchiment d’argent de par sa fonction de régulateur fédéral des investissements et des échanges de valeurs sur les marchés financiers), M. Sporkin a évoqué le fait que la SEC a désormais de nombreux instruments juridiques (injonctions, pouvoirs d’investigation, pénalités pécuniaires, etc.) pour responsabiliser les acteurs et ceux qui facilitent la commission d’une infraction tels que les avocats, les experts-comptables et autres. Si la SEC a perdu la confiance des investisseurs en raison de l’absence de réactions face aux grands scandales financiers, elle a su remédier à la situation en faisant peau neuve. En effet, elle a engagé de nombreux procureurs et experts juridiques, a créé de nouvelles divisions spécialisées et a renforcé la collaboration avec les autorités étatiques. M. Sporkins a terminé sa conférence en présentant les nouveaux défis de l’autorité américaine. Maintenant que la SEC peut agir rapidement grâce aux innovations en matière de législations et de réglementations, mais elle doit faire face aux problèmes de la migration des marchés vers des systèmes financiers parallèles hors de la juridiction de la SEC. En effet, les coûts de conformité et les risques de poursuites étant élevés, les acteurs s’initient dans ces nouveaux marchés, sans que la SEC puisse agir de façon efficace.

M. Luc Beaudry, représentant du CANAFE (Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada) s’est ensuite exprimé. Le CANAFE est un organisme canadien fédéral qui, suivant les politiques du GAFI, s’assure de l’analyse des différentes informations sur les intermédiaires financiers canadiens et produit des renseignements financiers pertinents dans les enquêtes sur le blanchiment d’argent en ayant pour mandat de faciliter la détection, la prévention et la dissuasion du blanchiment d’argent et du financement des activités terroristes tout en assurant la protection des renseignements personnels. À la suite d’une courte présentation sur la fonction du CANAFE, M. Beaudry a explicité le fait que le CANAFE a su, au fil des années, hausser la qualité de son analyse des déclarations d’opérations assujetties, ainsi que la collaboration qu’il a bâtie avec les corps policiers et les autorités provinciales des marchés financiers. Il a ainsi su simplifier les renseignements reçus à des fins d’utilisation efficace, confirmer ces renseignements avec ceux d’autres sources et adapter le tout aux besoins informationnels des autres autorités en la matière. En lien, avec cette présentation, Me Éric René, directeur du service d’enquête à l’Autorité des Marchés financiers (AMF), a poursuivi sur la lutte sur le blanchiment d’argent au Québec. En effet, l’AMF est l’autorité provinciale qui a pour mandat d’encadrer les secteurs financiers (en émettant des permis) et de protéger les consommateurs de produits et services financiers par voie d’indemnisation et de soutien. L’AMF est également un acteur important dans la lutte contre le blanchiment d’argent, en raison de ses pouvoirs généraux en matière de prévention et de sanction des crimes économiques, sans toutefois avoir tous les outils nécessaires pour les combattre. L’AMF publie également des lignes directrices pour les institutions financières portant sur la gestion des risques liée à la criminalité financière les aidant à prévenir, à détecter et à remédier les comportements répréhensibles. Me René a rappelé également que l’AMF bénéficie d’importants pouvoirs d’inspections et d’enquêtes pour contrer les pratiques illégales des acteurs assujettis, inspections et enquêtes qui deviennent de plus en plus formatrices pour les acteurs assujettis qui tentent de se conformer adéquatement aux exigences légales en la matière. L’échange d’informations entre les autorités est un point majeur de la lutte contre le blanchiment d’argent.

Le colloque a ensuite abordé le droit européen, plus particulièrement le droit français, par la présentation commune de la professeure Anne-Dominique Merville (titulaire de la Chaire droit et sécurité financière à l’Université Cergy-Pontoise) et de M. Thierry Villié (directeur adjoint de la lutte contre le blanchiment d’argent à la Société Générale). Les deux conférenciers ont abordé les thèmes de la transposition nationale des normes européennes (3e directive) qui a grandement contribué au changement de comportement dans les institutions financières. Toutefois, la France (comme le reste de l’Europe) fait face à des problèmes au niveau de la procédure pénale, puisque la preuve est souvent difficilement recueillie. Les institutions financières hésitent à outrepasser leur secret professionnel afin de respecter leur obligation d’information en cas de transaction douteuse. M. Villier a rappelé que les institutions financières européennes ont fait de grands progrès dans la détection des transactions douteuses en adaptant leurs outils en fonction du type de client. Mme Merville a évoqué également l’énorme contribution de la France dans la lutte contre l’évasion fiscale.

Pour clore la matinée, M. Rogatien Poda (directeur adjoint des affaires juridiques à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) a abordé la situation africaine dans la lutte contre le blanchiment d’argent qui menace actuellement la stabilité économique de l’Afrique. M. Poda a indiqué que, bien que le cadre législatif soit des plus complets puisqu’inspiré des normes internationales, la lutte contre le blanchiment d’argent fait face à un problème d’application. En effet, la corruption et la violence ébranlent l’autorité et le développement économique à un point tel que les gouvernements peuvent difficilement assurer la sécurité des marchés financiers.

 

Le colloque s’est poursuivi en après-midi par une table ronde, toujours conduite par le président Dalphond. Le panel de conférenciers était composé de Mme Merville, M. Villié, M. Poda, M. Denis Chalifour (service de certification chez Ernst & Young), M. Éric Laporte (procureur au Bureau de lutte aux produits de la criminalité de la Direction des poursuites criminelles et pénales) et M. Dave Tanguay (analyste-enquêteur des marchés financiers à la Gendarmerie Royale Canadienne), M. Étienne Nolet (enquêteur des marchés financiers à la Gendarmerie Royale Canadienne). Dans une discussion animée, les conférenciers ont échangé avec les participants sur les difficultés et les solutions de l’enquête et la détection des infractions de blanchiment d’argent. Ils ont notamment exposé le fait que les programmes de conformités et de vérifications sont très dispendieux, que les enquêtes peuvent être très longues de par l’extraterritorialité des infractions (ce qui rend difficile la tâche de la construction de la preuve) et que le blanchiment d’argent peut parfois migrer vers de nouvelles réalités telles que le noircissement d’argent dans les sociétés internationales. Mme Merville a rappelé que si la législation se spécialise et se veut plus efficace qu’autrefois, le quantum de pénalisation demeure toutefois minime en raison de la difficulté de terminer le processus judiciaire.

 

Le colloque s’est conclu sur une synthèse de la journée, présentée par le professeur Michel Dion (titulaire de la Chaire de recherche en intégrité financière CIBC à l’université de Sherbrooke). Il a rappelé aux élèves et autres participants que la lutte contre le blanchiment d’argent se veut une lutte acharnée dont les avenues sont nombreuses. Si l’Occident s’est doté de politiques efficaces en la matière, l’application demeure toutefois une rude épreuve surtout avec le développement effréné des nouvelles technologies.

 

 

 

Jean-Christophe Bernier

Titulaire d’un baccalauréat en droit

Bénévole de l’Université d’été

 

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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