La journée a commencé par les propos liminaires du professeur Marc Lacoursière, spécialiste de droit bancaire à la faculté de droit et président de la journée. Ce dernier a présenté le programme de la journée. Il a par la suite présenté le fonctionnement du blanchiment de l’argent. Dans ses propos, il a clairement laissé entrevoir la place importante des opérations bancaires dans l’entièreté du processus. En prenant la balle au bond, M. Arthur Oulaï a dressé la table en expliquant de manière détaillée la relation qu’il pouvait y avoir entre le transfert électronique des fonds et le blanchiment d’argent. En effet, le transfert électronique des fonds (TEF) est un jeu d’écritures qui fait intervenir des comptes correspondants. Ainsi, l’argent circule au final très peu. À cet égard, le TEF peut s’avérer vulnérable et les comptes correspondants des portes d’entrée pour des opérations de blanchiment. Se pose alors le problème de l’imputabilité de la responsabilité. En ce domaine, M. Oulaï a répondu que pour avoir les éléments de réponse, l’on doit se référer essentiellement à la notion du mandat tel que prévu par le droit civil. Face à la vulnérabilité des TEF, les banques ont des obligations qui sont généralement des obligations de moyens : obligation d’identification, de prudence et de diligence (voir l’arrêt M’Boutchou c. Banque de Montréal, 2008 QCCS 5561) ; obligation de confidentialité, ou encore obligation de discrétion. Quelque soit le nombre de transactions qu’elle effectue, la banque est tenue d’observer ces obligations. Toutefois, la banque peut déroger à son obligation de discrétion car elle est tenue de divulguer des informations dans certaines situations (mais uniquement avec le consentement explicite ou tacite du client).
M. Lacoursière a repris la parole pour présenter les lois et règlements en vigueur pour l’encadrement des opérations bancaires. Il a également fait un point sur la gouvernance en mentionnant l’importance de la gestion des risques dans le secteur bancaire et la participation du BSIF par l’édiction des lignes directrices de bonne gouvernance des institutions financières. Le propos de fin a insisté sur l’importance pour les banques de s’assurer que les règles de prudence et de diligence soient respectées par les banques correspondantes avant d’y ouvrir des comptes correspondants.
Alexandre Stylios, Bertrand Perrin et Jean-Luc Bacher sont les panélistes qui ont présenté par la suite la manière de lutter contre le blanchiment d’argent avec deux approches : une approche législative et une approche judiciaire (et ce, en ayant en toile de fond, une analyse comparée entre la Suisse et le Canada). De prime abord, les professeurs Stylios et Perrin ont insisté sur les dispositions légales incriminant le blanchiment d’argent. Si en Suisse, c’est l’art. 305bis du Code pénal suisse (CPS) qui l’incrimine, au Canada c’est l’art. 462.31 du Code criminel canadien (C.cr). Par la suite, les deux panélistes sont revenus sur la notion de l’acte punissable et les éléments constitutifs de la culpabilité (intention et dol éventuels en Suisse et actus reus et mens rea au Canada). Voir l’arrêt R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 RCS 217. En outre, ils attiré l’attention sur la nécessité pour les institutions financières de rester vigilantes en ce qui concerne les opérations financières. En Suisse, c’est l’art. 305ter du Code pénal qui prévoit les dispositions à cet effet. Au Canada c’est la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité (L.R. 1991, c. C-26) qui instaure les obligations en matière de vigilance. En cas de non-respect de ses obligations, les institutions sont passibles de sanctions prévues par les articles 462.31 et s. du Code criminel. Voir également l’arrêt Tang c. R., 2010 QCCA 356 pour plus de détails.
Le juge Jean-Luc Bacher a insisté sur l’approche judiciaire des deux juridictions (Suisse et Canada). De plus, afin de mieux définir la notion de blanchiment d’argent, il est revenu sur les lois et directives qui encadrent le phénomène du blanchiment notamment l’art. 305 bis, la loi fédérale sur le blanchiment d’argent et les directives sur les clients potentiels ou les clients existants, qui exercent des fonctions publiques dans leurs pays du 6 juillet 1998. Afin de mieux entrer dans le vif du sujet, il a mis sur la table deux questions juridiques importantes : la double incrimination (il s’agit de déterminer si les infractions préalables commises à l’étranger sont également punissables en Suisse) et le blanchiment par omission (un crime ou un délit peut aussi être commis par le fait d’un comportement passif contraire à une obligation d’agir : art. 11 al. 1er du Code pénal suisse). Ces deux questions ont également permis aux panélistes d’analyser plusieurs notions de droit comme la corruption, l’obligation d’agir, le garant et la situation de fait.
La dernière partie de la journée a porté l’éthique et l’investissement socialement responsable (ISR). Le professeur Ivan Tchotourian a ouvert cette dernière session en présentant l’appréhension que pouvaient avoir les juristes et les financiers de l’ISR. S’il a commencé son propos par une définition de ce qu’est la criminalité économique (série de comportement intrinsèque à l’économie même), il a par la suite établi le lien qui pouvait exister entre cette criminalité et l’éthique, la finance et le droit. Selon lui, la criminalité économique met le droit à l’épreuve et heurte ses valeurs. Il a poursuivi en disant que la criminalité économique était une source de perturbations pour la finance parce qu’elle cause le dysfonctionnement des marchés et remet en cause le fondement des marchés et des théories financiers. Elle est surtout un facteur de perturbation pour le droit par l’utilisation des techniques juridiques neutre, par le changement de la nature du droit et par la primauté de la logique financière qu’elle impose. Pour venir à bout de ce phénomène, le professeur Tchotourian propose de réagir. Réagir tout d’abord juridiquement par la répression et la prévention. Au niveau de la prévention, il a interrogé l’effectivité des règles censées encadrer le phénomène de crime économique. Ensuite, il préconise également une réaction du marché par les sanctions d’actes criminels et par la promotion d’autres comportements par les entreprises elles-mêmes et par les investisseurs. Avant de laisser la place à la table sur la question de l’ISR, le professeur Tchotourian l’a brièvement introduit en guise de point de chute à son propos.
La table ronde réunissant un avocat (Me Jean-Simon Deschênes du cabinet Lavery), un conseiller privé à la Financière Banque nationale (M. Sébastien Bérard) et une analyste de l’ISR (Mme Julie Bernard du Groupe d’Investissement Responsable) a tourné autour de la question de l’investissement responsable. L’éthique est une notion qui se conçoit bien en théorie, mais techniquement difficile à appliquer. L’idée générale qui est donc ressortie de la table ronde se résume ainsi : augmenter le niveau d’éthique dans les réglementations, n’exclut pas qu’il y ait toujours les fraudes, mais la mise en œuvre des principes éthiques passe nécessairement par la conscientisation des facteurs financiers, c’est-à-dire, les valeurs non financières.
Patricia Akiobe
Étudiante-chercheuse au doctorat (CÉDÉ)
Bénévole à l’Université d’été