01
MAI
2015

Encadrer les obligations entourant l’établissement d’un prospectus pour légitimer le financement participatif en capital (equity-based)

Le financement participatif, encore appelé crowdfunding, est un processus de financement émergeant et qui fait appel à la participation du consommateur. Cette technique permet à des entrepreneurs de solliciter des contributions auprès d’un grand nombre de personnes, par le biais d’Internet ou des médias sociaux afin de soutenir un projet particulier (création d’entreprise par exemple). Il constitue par ce fait une alternative prometteuse pour de nombreuses entreprises en démarrage, ceci d’autant plus, qu’avec la crise, les banques sont de plus en plus réticentes à accorder des prêts à de nouveaux entrepreneurs.

Plusieurs juridictions s’intéressent de plus en plus à cette technique de financement. Par exemple, en 2014, l’Amérique du Nord représente toujours, avec 58 %, le plus grand marché dans ce domaine. Elle est suivie de l’Asie qui, durant cette année-là, a dépassé l’Europe par une faible marge en cette matière. La part mondiale de marché de l’Europe dans le domaine du financement participatif devrait donc s’établir, en 2015, à 18,8 %, ce qui représente une baisse comparativement au résultat de 20,1 % obtenu en 2014[1].

Il existe quatre grands types de financement participatif[2] : le don (social participation),  le financement participatif avec contrepartie (reward-based), le prêt (peer-to-peer lending), et le financement participatif  en capital (equity-based). Il y a certainement beaucoup à dire sur ces différentes motivations de crowdfunding. Mais c’est le cas du financement participatif en capital qui reste encore à préciser par le législateur québécois. Ce type de financement participatif permettrait à un jeune entrepreneur d’offrir des parts de sa société à un investisseur en contrepartie d’une rétribution financière.

La problématique qui se profile à L’horizon est la légitimité de ce type de financement. Vu son mode de réalisation qui fait intervenir des non-professionnelles en valeurs mobilières, doit-on l’inclure dans le régime applicable aux valeurs mobilières? Selon le site de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), « le financement participatif en capital est prohibé au Canada, à moins qu’il soit effectué en conformité avec la règlementation en valeurs mobilières, ce qui comprend notamment l’obligation d’établir un prospectus ou de se prévaloir d’une dispense de prospectus. De plus, l’exploitation de portails de financement participatif en capital entraînerait l’obligation d’inscription à titre de courtier en valeurs.»[3]

On pourrait penser à donner à l’AMF un mandat de surveillance particulier pour ce type de financement au Québec; mais ceci risque  fort bien de laisser place à un arbitrage qui ne serait pas toujours objectif.

Mais la loi sur les valeurs mobilières, qui s’avère être la référence pour l’encadrement des prises de participations, présente quelques disparités. En effet, « [e]n vertu des lois canadiennes actuelles en matière de valeurs mobilières, il est illégal pour une entreprise de vendre des valeurs mobilières dans un projet ou une entreprise au moyen du financement participatif. En vertu des lois actuelles, il y a des circonstances limitées dans lesquelles des investisseurs privés peuvent acheter des valeurs mobilières dans une entreprise sans que cette entreprise émette un prospectus approfondi utilisé dans un premier appel public à l’épargne traditionnel. Il y a certaines exemptions à l’exigence du prospectus, mais elles varient selon les provinces/territoires et sont habituellement limitées aux contributions des amis et de la famille. Néanmoins, il existe deux exemptions qui s’appliquent dans toutes les provinces et tous les territoires :

–       Investisseurs accrédités – ceux qui ont une valeur nette de plus de 1 million de dollars (USD) ou un revenu annuel de plus de 200 000 $ (USD); ou

–       Si un investissement est d’un montant minimum de 150 000 $ (USD). Les lois actuelles interdisent également la sollicitation publique de participation au capital, ce qui rend l’aspect du réseautage social du concept de financement participatif essentiellement illégal lorsque des valeurs mobilières sont vendues. » [4]

Au Canada, seule la province du Saskatchewan a légiféré sur le financement participatif en capital. L’hésitation ou alors la trop longue réflexion du législateur québécois en la matière lui coute son leaderchip sur les marchés. Aujourd’hui, la France, le Royaume-Uni, la Hollande, l’Australie et les États-Unis sont plus avancés dans la pratique de ce financement participatif. La difficulté du Canada réside dans la conception même de la loi sur les valeurs mobilières qui varie d’une province à l’autre.

Au demeurant, il faudrait davantage considérer cette technique de financement qui vient compléter et soutenir les modes de financements des institutions financières. Plusieurs commissions (la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, le Alberta Securities Commission et l’Autorité des marchés financiers du Québec etc. …)  évaluent actuellement la faisabilité d’une règlementation à grande échelle. Plus précisément, nous pensons que le législateur  canadien, à l’instar de son homologue américain et européen, devrait entrer en phase d’idéation et envisager la possibilité d’avoir une règlementation au niveau fédéral (comme avec la loi sur les banques) autour des obligations entourant l’établissement d’un prospectus.  Bien évidemment cette règlementation aura des applications au niveau provincial. Ceci va permettre de créer un cadre bien précis dans lequel fonctionnera le financement participatif en capital.


[2] TRESPEUCH L. & ROBINOT E. 2014, Le Crowdfunding : une nouvelle forme de participation, Revue de Management et de Stratégie, (1:11), pp.1-13, www.revuerms.fr, VA Press. En ligne : < http://leotrespeuch.com/crowdfunding.pdf >

Michèle Patricia Akiobé Songolo est candidate au doctorat en droit. Titulaire d'un Master en droit des affaires de l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès (Maroc), elle effectue sa thèse sous la direction du professeur Marc Lacoursière. Dans sa thèse, madame Akiobé analyse les différentes alternatives d'encadrement juridique des risques liés à l'opération de titrisation des créances bancaires. Elle a également travaillé auprès des professeurs Serge Kablan et Karounga Diawara à titre d''auxiliaire de recherche. Elle est actuellement vice-présidente aux droits étudiants de l'Association des Étudiants et Étudiantes de l'Université Laval inscrits aux cycles Supérieurs (AELIÉS).

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