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JUIL
2015

La criminalité économique des entreprises et leur gouvernance : un destin croisé ? (billet invité de Carolina Klimas, étudiante du cours DRT-7022)

Le séminaire à la maîtrise de Gouvernance de l’entreprise (DRT-7022) dispensé à la Faculté de droit de l’Université Laval entend apporter aux étudiants une réflexion originale sur les liens entre la sphère économico-juridique, la gouvernance des entreprises et les enjeux sociétaux actuels. Le séminaire s’interroge sur le contenu des normes de gouvernance et leur pertinence dans un contexte de profonds questionnements des modèles économique et financier. Dans le cadre de ce séminaire, il est proposé aux étudiants depuis l’hiver 2014 d’avoir une expérience originale de publication de leurs travaux de recherche qui ont porté sur des sujets d’actualité de gouvernance d’entreprise. C’est dans cette optique que s’inscrit cette publication qui utilise un format original de diffusion : le billet de blogue. Cette publication numérique entend contribuer au partager des connaissances à une large échelle (provinciale, fédérale et internationale). Le présent billet est une analyse de Mme Carolina Klimas. Cette dernière a travaillé sur les liens entre criminalité économique et gouvernance d’entreprise. Dans le cadre de ce billet, Mme Carolina Klimas partage avec les lectrices et lecteurs ses réflexions personnelles. Je vous en souhaite bonne lecture et suis certain que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’ai pu en prendre à le corriger.

 

Ivan Tchotourian

 

 

Sept ans après la crise financière de 2008 et maintenant que les grands scandales financiers de la dernière décennie tels que Norbourg, Enron et Worldcom sont passés aux oubliettes, semblerait-il qu’il y ait de nouveaux dérapages dans le monde corporatif. Plus que jamais les dirigeants des grandes sociétés doivent-ils éviter de se comporter comme des criminels à col blanc. Quelles leçons peut-on tirer des erreurs passées ? Quels sont les éléments d’une bonne gouvernance à améliorer pour les entreprises québécoises et canadiennes ? La gouvernance est-elle le seul élément à considérer ? Peut-on espérer qu’un jour, il sera possible de vivre dans un monde sans fraude corporative et sans mauvais joueurs ? Il n’en est pas certain !

 

La criminalité détruit l’économie et l’idée de compétition comme elle devrait l’être : saine. Pourtant, et il serait hypocrite de l’ignorer même si ce n’est pas toujours médiatisé, plusieurs acteurs sociétaire dans le secteur privé continuent d’avoir leur propre agenda au détriment de l’intérêt de l’entreprise. Quoiqu’il n’ait pas eu de récent cas de gros scandales financiers au Québec ou au Canada depuis l’affaire Mount Real de 2008, il vaut mieux prévenir que guérir. Il ne serait pas surprenant qu’un nouveau scandale éclate dans un futur proche, malgré les efforts déployés par l’AMF (Autorité des marchés financiers) pour essayer de contrôler la corruption. Les fonds d’indemnisation pour les victimes de fraude instaurés par cette organisation et le système pénal semblent malheureusement insuffisants pour prévenir ces crimes corporatifs. Il faut plus que jamais attaquer le problème à la source, c’est-à-dire, en s’assurant de développer des stratégies de bonne gouvernance. Tel un cancer, il faut réellement éviter qu’un problème qui peut sembler bénin à première vue ait des répercussions sur toutes les « cellules » de l’entreprise. Peut-être que les grandes entreprises ne sont pas suffisant sanctionnées au travers d’une perte de confiance des investisseurs (existants ou potentiels). Un manque d’éthique professionnelle semble être présent chez certains dirigeants… qu’il suffise de penser par exemple au directeur de Yahoo qui a falsifié son Curriculum Vitae ou aux prêts douteux accordés par la société Chesapeake Energy[1].

 

Le principal défi des grandes entreprises – qui sont plus à risque d’être aux prises avec des problèmes de gouvernance en raison de leurs pouvoirs de plus en plus étendus, en plus de leur taille, du grand nombre d’acteurs impliqués et de leur certaine réserve pour un encadrement strict –  est celui de respecter une bonne éthique commerciale que les dirigeants devront intégrer à tous les niveaux.

 

Au-delà des éléments « classiques » de bonne gouvernance qui ont déjà été traités par plusieurs auteurs, telles que l’importance du conseil d’administration dans la gestion des risques et de la surveillance, il faudrait en plus penser à d’autres solutions, tels que l’amélioration de l’éthique à tous les échelons, le développement des programmes de formation anti-fraude et la mise en place d’un modèle organisationnel de prévention. À cela s’ajoute le contrôle judiciaire comme instrument de gouvernance quant à la rémunération excessive des dirigeants[2]. L’émergence des CFE (Corporate Fraud Examiners), ces véritables détectives de détection de la fraude, témoigne des préoccupations toujours présentes quant à la possible criminalité[3] au sein des entreprises. Ces « Sherlock Holmes » du monde sociétaire ont du pain sur la planche !

 

Mais, une question est présente : est-ce que la gouvernance est le seul facteur à considérer ? Il serait dangereux d’oublier que la nature humaine peut être parfois très perverse et qu’évoluer au sein d’une grande entreprise peut également avoir un impact considérable sur les agissements plus ou moins éthiques des membres dirigeants : « l’homo economicus, égoïste et calculateur, prend alors la place de la personne généreuse, humaine et désintéressée »[4]. La personne physique a ses failles, tout comme la personne morale. Il ne faut pas mettre de côté cet aspect du problème puisque, même si on déploie des efforts pour améliorer la gouvernance, les résultats ne seront pas au rendez-vous si les dirigeants ont déjà leur main pris dans l’engrenage de la malhonnêteté. Rappelons-nous que dans le cas d’Enron, en plus de la presque totalité des aspects de bonne gouvernance qui n’avaient pas été respectés, la mauvaise foi des dirigeants avait également joué un rôle non négligeable.

 

En plus de possiblement avoir parfois en leur sein des « pommes pourries », les grandes entreprises sont susceptibles d’avoir de mauvaises fréquentations… entre autres dans le monde politique. Lorsque les PDG fréquentent des élus, la fraude serait parfois contagieuse selon certains experts[5]. Il y a donc encore du travail en perspective !

 

Carolina Klimas

Étudiante du cours de gouvernance de l’entreprise (DRT-7022)


[1] Jeff COX, « CEOs Gone Wild: What’s Wrong with Corporate America? », cnbc.com, 14 mai 2012, en ligne: <http://www.cnbc.com/id/47416397?goback=%2Egmr_3834048%2Egde_3834048_member_115528621> (consulté le 15 mars 2015).

[2] Raymonde CRÊTE, « Rémunération excessive des dirigeants d’entreprise et le contrôle judiciaire comme instrument de gouvernance », (2004) 45-3 Cahiers de droit, 407-468.

[3] « The Bloodhounds of Capitalism », economist.com, 5 janvier 2013, en ligne: <http://www.economist.com/node/21569028> (consulté le 20 avril 2015).

[4] Bruno BIAIS, « Les scandales financiers : aléa moral ou problème éthique ? », Esprit 5/2008 (Mai), p. 200-203, en ligne: ˂http://www.cairn.info.acces.bibl.ulaval.ca/revue-esprit-2008-5-page-200.htm#anchor_citation˃ (consulté le 20 avril 2015).

[5] Olivier SCHMOUKER, « La fraude est-elle contagieuse ? », lesaffaires.com, 8 août 2014, en ligne: <http://www.lesaffaires.com/blogues/olivier-schmouker/la-fraude-est-elle-contagieuse/571106/3> (consulté le 20 avril 2015).

Dominique Mannella est inscrit au doctorat sous la direction du professeur Ivan Tchotourian. Dominique Mannella est titulaire d’un baccalauréat en droit, ainsi que d’un Master of Arts (M.A.) de l’Université de Dublin Trinity College (Irlande). Il a également complété des études de droit à l’Université de Montréal (Canada) et à l’Université de Bologne (Italie). Par ailleurs, il est titulaire d’une maîtrise en droit des valeurs mobilières et réglementation des marchés financiers américains et internationaux (LL.M.) obtenue au Georgetown University Law Center à Washington D.C. (États-Unis). Durant son baccalauréat, Dominique Mannella a réalisé un stage de recherche à l’Ambassade du Canada de Dublin et a collaboré à la revue de droit intitulée Trinity College Law Review. Il a également travaillé à l’U.S. Securities and Exchange Commission Division of Enforcement durant sa maîtrise, œuvrant principalement dans l’équipe chargée de détecter, d’enquêter et de faire sanctionner les infractions aux lois fédérales sur les valeurs mobilières. Dominique Mannella a pratiqué le droit en litige commercial dans les cabinets New-Yorkais Tosolini & Lamura LLP et Bracken Margolin Besunder LLP et a passé les examens du Barreau de New York en 2013. Membre du CÉDÉ, il mène ses recherches dans les domaines du blanchiment d’argent (sous un angle préventif) et de la gouvernance d’entreprise. Il travaille actuellement comme auxiliaire de recherche et d’enseignement pour le professeur Ivan Tchotourian et a à son actif plusieurs publications. Il s'est récemment vu remettre une prestigieuse bourse du Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'Autorité des marchés financiers ainsi qu'un stage pour la poursuite de ses études au doctorat.

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