Le 17 mars 2014, le journal Les Affaires publiait un article énumérant huit principes à respecter en matière de gouvernance d’entreprise[1]. Cette liste, édifiée par Me Richard Drouin, ancien président du conseil d’administration du Collège des administrateurs de sociétés, semble faire le tour des préceptes fondamentaux à respecter pour le conseil d’administration d’une entreprise : indépendance, transparence, équilibre, flexibilité, etc. L’un d’entre eux atteste une tendance actuelle et véhiculée par les médias : l’importance de l’environnement dans les décisions et l’orientation d’une entreprise.
L’idée d’administrer avec une conscience environnementale n’est pas nouvelle pour bien des organisations. C’est en 1994 qu’une première version de la norme ISO 14001[2] est couchée sur papier. Depuis, elle s’est vue améliorée et mise à jour par l’Organisation internationale de normalisation. Sur le plan national, le législateur québécois a pris la liberté de contraindre une multitude d’entreprises à respecter de plus en plus de normes environnementales. L’une des plus récentes concerne le marché du carbone et les limites d’émission de gaz carbonique par certains types d’émetteurs.
Les acteurs d’un marché en émergence
Depuis que le Québec participe à la Western Climate Initiative (WCI)[3], un nombre croissant d’entreprises sont affectées par la règlementation des gaz à effet de serre (GES). Le marché du carbone actuel touche une partie non négligeable des industries québécoises : les entreprises d’extraction minière, de pétrole ou de gaz, de même que celles transportant de l’électricité ou produisant des vapeurs à des fins industrielles, sont affectées par le Système de plafonnement et d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE) dès lors qu’elles émettent dans l’atmosphère une quantité supérieure ou égale à 25 000 tonnes métriques de CO2[4].
Afin d’étendre et de consolider ce marché émergeant, le Québec a conclu une entente avec l’État de Californie pour harmoniser les règles concernant l’achat et la vente des crédits d’émission de carbone ; ils seront rejoints dans cette initiative par la province de l’Ontario dès le 1er janvier 2018[5].
Le fonctionnement général du SPEDE
Le principe du SPEDE est simple et comporte deux grandes étapes.
La première est l’imposition d’une limite du gaz carbonique émis par les entreprises ciblées[6]. Tout émetteur est obligé de déclarer la quantité de GES qu’il émet dans l’atmosphère[7] et est limité dans cette émission. Cette limite prend la forme d’un nombre de droits d’émission, où chaque « droit » représente une tonne métrique de gaz contaminants. À la fin de chaque période de conformité[8], les entreprises soumises au procédé doivent remettre au ministère[9] une quantité de droits d’émission équivalant à leur production de gaz carbonique. De plus, elles voient, chaque année, leur capacité d’émission de GES diminuée dans le but de lutter contre le changement climatique des dernières décennies, l’objectif étant de rendre les activités industrielles des entreprises québécoises écoresponsables[10].
Tout émetteur enfreignant la Loi sur la qualité de l’environnement[11] ou ne remettant pas au ministre un nombre suffisant de droits d’émission peut faire l’objet de pénalités de plusieurs ordres. Sont prévus, notamment, la réduction du nombre d’unités d’émission[12], une amende pouvant se chiffrer jusqu’à plusieurs millions de dollars[13], la révocation du permis d’autorisation d’activités [14] et, dans les cas les plus rares, une peine d’emprisonnement pour les administrateurs et dirigeants de l’entreprise[15].
Ce régime juridique est un bel exemple où les obligations d’une société emportent des conséquences tant sur l’entreprise elle-même que sur les membres de son conseil d’administration. Les situations où un conseil d’administration décide qu’il vaut mieux pour l’entreprise d’ignorer les règles sur un secteur d’activité au prix d’une pénalité financière sont chose courante. L’objectif, dans la majorité des cas, n’est autre que la rentabilité de l’opération commerciale ou industrielle, les amendes étant traitées comme de simples frais d’exploitation. Toutefois, lorsqu’il est question de pénalités financières directement infligées aux administrateurs et dirigeants, les règles changent. On peut entrevoir dans de telles dispositions la volonté du législateur de transformer des normes qui étaient jusqu’alors assez générales en normes plancher à respecter rigoureusement par les entreprises.
La seconde étape repose sur la mise en place d’un système d’échange des droits d’émission non utilisés par les entreprises[17]. Afin de rendre la quantité de contaminants émise licite, deux principales options s’offrent aux sociétés : soit elles réduisent leur production de gaz au seuil prévu (cela peut être atteint grâce à l’amélioration de leur efficacité énergétique ou en modifiant leur méthode de production[18]), soit qu’elle acquière par l’entremise d’autres entreprises éco-efficaces les droits d’émission non utilisés durant la période de conformité. Résultat : il est possible d’entrevoir le bâton et la carotte du système. Les entreprises, prenant en considération les nouvelles réalités environnementales dans leur planification stratégique, auront la chance de récupérer une partie des coûts liés à leur éco-efficacité, alors que celles maintenant un système de fonctionnement traditionnel devront faire face à des coûts supplémentaires d’année en année pour acquérir des droits d’émission.
Le marché du carbone repose entièrement sur la vente de ces droits. La transmission des droits ne peut se faire que dans le cadre légal prévu à cet effet[19]. Les options disponibles se classent en trois principales catégories : (1) la vente de gré à gré entre des émetteurs d’unités d’émission ou de crédits compensatoires, (2) l’achat lors d’une vente aux enchères trimestrielle d’unités d’émission (il s’agit d’une enchère conjointe avec la Californie dans le cadre du marché du carbone de la WCI) et (3) l’achat d’unités lors d’une vente de gré à gré du ministre[20]. Toutes les transactions doivent être enregistrées dans le système CITSS, soit le registre informatique permettant au ministre de faire le suivi des droits de chaque participant du SPEDE.
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[1] Collège des administrateurs de sociétés, « Gouvernance : huit principes à respecter », 17 mars 2014, en ligne : http://www.lesaffaires.com/dossier/la-gouvernance-dans-tous-ses-etats/gouvernance–huit-principes-a-respecter/567237 (consulté le 20 novembre 2016).
[2] La norme ISO 14001 est définie par l’Organisation internationale de normalisation comme « une norme internationalement reconnue qui établit les exigences relatives à un système de management environnemental. Elle aide les organismes à améliorer leur performance environnementale grâce à une utilisation plus rationnelle des ressources et à la réduction des déchets, gagnant, par là même, un avantage concurrentiel et la confiance des parties prenantes. » ; Organisation internationale de normalisation, Les principaux avantages d’ISO 14001, 2015, en ligne : http://www.iso.org/iso/fr/iso_14001_-_key_benefits_fr.pdf (consulté le 9 décembre 2016).
[3] Western Climate Initiative, « History », en ligne : http://www.westernclimateinitiative.org/history (consulté le 19 novembre 2016).
[4] Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q-2, art. 46.5 (Ci-après « L.Q.E. ») ; Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre, RLRQ, c. Q-2, r. 46.1, art. 2 et Annexe A (Ci-après « Règlement SPEDE »).
[5] Christian Noël, « L’Ontario imposera un tarif sur le carbone », 10 avril 2015, en ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/715289/ontario-tarif-carbone (consulté le 18 novembre 2016) ; La Presse canadienne, « Comprendre la tarification du carbone en quatre points », 3 octobre 2016, en ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/806695/tarification-carbone-environnement-ges-taxe-marche-echange (consulté le 18 novembre 2016).
[6] Règlement SPEDE, art. 21 et suiv.
[7] Règlement sur la déclaration obligatoire de certaines émissions de contaminants dans l’atmosphère, RLRQ, c. Q-2, r. 15.
[8] Les périodes de conformité sont d’une durée générale de deux à trois ans. En date du 20 novembre 2016, il est établi par règlement trois périodes distinctes : la première avait lieu du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, la seconde est délimitée du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017 et la troisième aura lieu du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020.
[9] Le terme « ministère » désigne le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques ; Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Le Système de plafonnement et d‘échange de droits d’émission de gaz à effet de serre. Description technique, 2e éd., Québec, Publications du Québec, 2014, en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changements/carbone/documents-spede/description-technique.pdf (consulté le 18 novembre 2016).
[10] Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Le Système de plafonnement et d‘échange de droits d’émission de gaz à effet de serre. Foire aux questions Q&R, Québec, Publications du Québec, en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changements/carbone/documents-spede/questions-reponses.pdf (consulté le 18 novembre 2016).
[11] L.Q.E., préc., note 3.
[12] Règlement SPEDE, préc., note 3, art. 22.
[13] Id., art. 71-75.4.
[14] L.Q.E., préc., note 3, art. 115.5-115.8.
[15] Règlement SPEDE, préc., note 3, art. 75.1-75.3.
[16] Image extrait à l’adresse électronique suivante : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changementsclimatiques/marche-carbone.asp.
[17] « Le marché du carbone, c’est quoi au juste ? », Radio-Canada, 18 avril 2015, en ligne : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/715667/marche-carbone-californie-quebec-ontario-fonctionnement (consulté le 18 novembre 2016).
[18] Id. ; Gouvernement du Québec, Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques. Phase 1, Québec, Publications du Québec, 2012, en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changements/plan_action/pacc2020.pdf (consulté le 19 novembre 2016).
[19] Règlement SPEDE, préc., note 3, art. 45-64.1.
[20] Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, préc., note 9, p. 10 et suiv. ; Règlement SPEDE, préc., note 3, art. 45-64.1.