Les «statuts protecteurs» américains, appelés Constituency Statutes, protègent les parties prenantes et permettent aux administrateurs de considérer des intérêts autres que ceux des actionnaires lors d’une offre publique d’achat (OPA) hostile. Ces intérêts peuvent être ceux des employés, des clients, des créanciers, des fournisseurs de la société, de la communauté ou tout autre intérêt pouvant être pris en compte par la société. L’implantation de ces statuts protecteurs aux États-Unis permet aux dirigeants de protéger davantage les parties prenantes et de considérer les intérêts à court et à long terme de l’entreprise[1].
À ce jour, 32 États américains ont adopté ces statuts protecteurs dans leurs lois en réaction aux OPA hostiles dans les années 1970 et 1980[2]. La plupart de ces statuts laissent une marge de manœuvre aux administrateurs de l’entreprise pour toute décision d’affaires.
Qu’est-ce qui peut expliquer la faible utilisation de ces statuts protecteurs durant les dernières années ? D’une part, la faible application de ces statuts est limitée par l’utilisation de moyen alternatif de protection par les entreprises à certaines formes de situations précises. En effet les entreprises utilisent principalement ces statuts protecteurs pour les prises de contrôle. Ceux-ci sont rarement appliqués, par exemple, lors d’une réorganisation de l’entreprise qui permettrait tout autant de protéger les parties prenantes[3]. D’autre part, l’adoption de diverses autres mesures défensives pour contrer les OPA hostiles peut rendre le recours à ces statuts protecteurs quasi-inutiles, puisque ces mesures sont autant efficaces pour détourner ces offres[4]. Il suffit de penser à la pilule empoisonnée qui est généralement la plus utilisée. Finalement, la faible utilisation par les entreprises de ces statuts peut s’expliquer en raison du fait que l’État s’est montré plus préoccupé à offrir des opportunités d’investissement attrayantes qu’à mettre en œuvre des réformes pouvant bénéficier aux parties les plus faibles.
Bien qu’il existe de nombreux obstacles à l’application de ces statuts protecteurs, il n’en reste pas moins que ces lois offrent plusieurs avantages et méritent une plus grande attention. En effet, celles-ci protègent les parties prenantes, car ce sont eux qui sont habituellement les plus vulnérables lors d’une prise de contrôle[5]. De plus, l’utilisation de ces statuts protecteurs permet de renforcer le concept de responsabilité sociale de l’entreprise. Le choix des administrateurs de considérer les intérêts de toutes les parties prenantes reflète l’opportunité du bien-être de l’entreprise et augmente la qualité de vie d’une société. Il existe donc une interdépendance entre les dirigeants et l’ensemble des parties prenantes qui partagent des objectifs communs[6]. Ainsi, protéger les parties prenantes est important puisque « to the extent that there is social value and social benefit in the understanding that participants in a common enterprise are charged with some level of concern for one another’s welfare, it is value and benefit ignored by the contractarian, market-based approach[7] ».
Au Canada, la réflexion actuelle sur le cadre règlementaire évoque l’importance de réfléchir sur les devoirs des administrateurs et des actionnaires, mais il s’avère qu’aucune piste de solution n’a été proposée pour protéger les parties prenantes.
Industrie Canada entreprend diverses consultations pour s’assurer de l’efficacité de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[8]. Le comité a publié en juin 2010 le rapport Consultation sur la Loi canadienne sur les sociétés par actions[9]. dans lequel il aborde le rôle de la responsabilité sociale des entreprises. Le comité recommande de tenir des consultations au sujet des entreprises socialement responsables. Certains intervenants préconisent davantage de prendre en compte l’intérêt des actionnaires de la société visée et de promouvoir ces objectifs à la responsabilité sociale des entreprises dans l’actuelle LCSA. Cela pourrait mener à des entreprises canadiennes davantage novatrices, productives et concurrentielles. Ainsi, les statuts protecteurs peuvent être un bon moyen de rendre les entreprises plus responsables, puisqu’ils permettent de prendre en compte l’ensemble des intérêts de la société.
En attendant une réforme de la LCSA, les États devraient plutôt protéger les parties prenantes vulnérables en renforçant les lois, par exemple les lois concernant le salaire minimum et celles encadrant les fermetures d’entreprise.
[1] ·Lawrence E. MITCHELL, « A Theoretical and Practical Framework for Enforcing Corporate Constituency Statutes », (1992) 70:2 Tex. L. Rev. 579, p.589.
[2] · Eric ORTS, « Beyond Shareholders: Interpreting Corporate Constituency Statutes », (1993) 61:1 Geo. Wash. L. Rev. 14, p.16.
[3] Eric ORTS, « Beyond Shareholders: Interpreting Corporate Constituency Statutes », (1993) 61:1 Geo. Wash. L. Rev. 14, p.35.
[4]Eric ORTS, « Beyond Shareholders: Interpreting Corporate Constituency Statutes », (1993) 61:1 Geo. Wash. L. Rev. 14, p.40.
[5] Kenneth B. DAVIS JR., « Epilogue: The Role Of The Hostile Takeover And The Role Of The States », (1988), Wis. L. Rev. 491, p.11.
[6] Lawrence E. MITCHELL, « A Theoretical and Practical Framework for Enforcing Corporate Constituency Statutes », (1992) 70:2 Tex. L. Rev. 579, p. 642.
[7] Lawrence E. MITCHELL, « A Theoretical and Practical Framework for Enforcing Corporate Constituency Statutes », (1992) 70:2 Tex. L. Rev. 579, p. 642.
[8] Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C., c. C-44 (ci-après « LCSA »).
[9] CONSULTATION SUR LA LOI CANADIENNE SUR LES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS, Direction de l’entreprise, de la concurrence et de l’insolvabilité, Ottawa, Autorité des marchés financiers, (2014).